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Les urinoirs d'Argol, une affaire d'Etat en pleine seconde guerre mondiale

Les toilettes ont sauté le mur et sont appuyées contre le mur du cimetière.

La bascule de pesée se situait à l'emplacement de la statue.

Lieu du pesage.

L'urinoir et la pesée.

Le roi Gradlon et son arc triomphal classés depuis le 12 novembre 1914.

Les poteaux indicateurs dont le Michelin de 1929, et les autres de 1930 et 1931.

Poteau de 1962, décalé comme prévu.

La situation de 2022 ne manque pas de poteaux indicateurs qui ne choquent plus. Pourtant le site est classé monument historique et fait l'objet d'une demande d'inscription au patrimoine de l'Unesco. L'urinoir était au niveau du panneau d'interdiction de stationner.

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La dépêche de Brest et de l'Ouest publie en première page une tribune d'Yves-Alexandre Le Diberder (1887-1959), plus connu sous le nom d'Yves Le Diberder, dont l'usage des pseudos lui est familier : Youenn Didro, Erwan Kentajus, Ap Gruffez. Cet érudit passionné par les traditions populaires bretonnes se fait connaître par les polémiques qu'il soulève et parvient peu à peu à se faire détester de tout le monde, jusqu'à se retirer dans une librairie pour y être à demi oublié. En pleine verve, alors que le quotidien du jeudi 14 octobre 1943, raconte les difficultés de l'armée russe face à la progression de l'armée allemande, le polémiste tient son appel à la décence :
"Ne souillez pas Argol [par Youenn Didro]

Argol, au fond de la Cornouaille, à l'écart dans une petite péninsule déjà écartée, n'est pas sans doute une commune dont l'intérêt artistique soit immense. La plus grande séduction de sa petite église semble bien venir de sa modestie. À cette modestie de son sanctuaire on peut ajouter aussi une touchante atmosphère de confiance. Argol est en effet la paroisse où on dirait que chacun peut laisser sur sa chaise son livre de prières ou son recueil de cantiques, jusqu'à ce qu'il en ait besoin dimanche prochain ou le lendemain. Je me souviens d'un soir de Pâques où, pénétrant dans l'église quand tous les offices étaient finis, j'eus ainsi toute liberté d'étudier à loisir les cantiques bretons du diocèse. Et j'avoue que cette confiance bretonne me sembla toute naturelle, bien digne de cette Bretagne bretonne que j'ai connue, et que je crains de voir trop vite passer.

Toutefois, quand je parle de l'attachante modestie d’Argol, je parle du sanctuaire lui-même. Avant d'y avoir pénétré et d'avoir constaté sa pauvreté relative (ou sa naïveté dans sa cossue décoration à colonnes torses de l'autel nord), on a été vivement séduit par son clocher aigu de Cornouaille, de 1500 environ, à crochets, à pinacles, à fenêtres multilobées, à haute chambre des cloches, et ayant devant lui le célèbre arc de triomphe.

En Kersanton (qui m’a paru, un jour de pluie, vaguement verdâtre comme du bronze) ; ayant perdu un bras mais retenant de l’autre son beau petit cheval massif qui ronge son frein, Grallon est là, débonnaire, ayant oublié les malheurs mérités de sa ville, et souriant vaguement dans sa barbe fleurie à son bon peuple d’Argol, ainsi que je l’espère du moins, à nous autres aussi, ses admirateurs.

Or, son bon peuple d'Argol lui prépare un tour de sa façon. L'ensemble architectural d'arbres et de pierres d'Argol était tout ce qui restait de bien en Bretagne au pauvre roi de la Ville d'Ys. Car à Landévennec il n'a même plus de tombe, et sa statue de Quimper n'est qu'une statue de remplacement. L'ensemble d'Argol était donc célèbre.

Portant la date de 1659, celui-ci est une des créations les plus déroutantes, les plus originales et les plus heureuses de la Renaissance bretonne. Interrompant un mur d'enclos bas, percé de trois ouvertures dont deux échaliers, il remonte aux temps maintenant évanouis peut-être, où nul ne songeait à défendre les tombes contre les humains : les défenses n'étaient que contre les bêtes. Et ce n'est pas cela qui déroute ; ce qui étonne, c'est plutôt ce qui surmonte le grand arc d'entrée, un curieux échafaudage de frontons, de clochetons carrés à têtes arrondies, de niches, ensemble qu'on ne sait plus à quel art rattacher, et devant lequel se tient, sur une console qui avance, la dernière des menues merveilles d’Argol, la plus sympathique de toutes ces choses aimables, la touche ultime qui rend Argol incomparable : La statue équestre du roi Grallon. Mais voilà, les sujets du roi Grallon n'ont qu'un souci relatif de sa célébrité. Ou du moins leur municipalité. Celle-ci pense surtout que ses administrés ont des besoins, et que ces besoins peuvent parfois être pressants.

Ils peuvent surtout être pressants, évidemment, quand on a bu quelques verres de cidre avant d'arriver à la messe, ou encore lors de ces beaux jours d'élections dont nous avons eu l'imprudence d'oublier le charme.

C'est du moins ce qu'on m'écrit. Et à dessein on emploie le mot. On m'annonce en effet que la municipalité d'Argol vient d'avoir l'idée triomphale de compléter par une « pissotière » l'ensemble artistique qui s'honore et s'achève de l'effigie la plus ancienne du plus populaire de nos rois.

Ensemble artistique et pieux à la fois. « Nos ancêtres avaient une haute idée de la dignité et de la majesté de nos églises, (écrivait en 1896 le chanoine Abgrall). Voilà pourquoi ils ont voulu qu'à l'entrée de leurs cimetières, qui étaient comme le parvis de l'église, il y eut une porte monumentale, une arcade triomphale sous laquelle devaient passer les paroissiens vivants et morts, comme passaient à Rome les généraux et les empereurs victorieux sous les arcs de triomphe qui étaient érigés en leur honneur. »

« Ben oui », va répondre prosaïquement M. le maire d'Argol, « mais les vivants ont envie de pisser! »

Vous allez peut-être me dire qu'il pourrait s'exprimer autrement ? Mais s'il était homme à s'exprimer autrement, croyez-vous qu'il mettrait son édicule évacuatoire si en évidence ? On m'écrit qu'il l'installe bien en vue, contre le mur du presbytère qui prolonge le mur du cimetière, alors qu'il suffirait de bâtir le nouveau « monument » quelques mètres plus loin, pour trouver, contre l'autre mur du presbytère un emplacement en retrait bien mieux désigné. Mais ce déplacement, encore facile à faire maintenant que les travaux ne sont que commencés, M. le maire d'Argol voudra-t-il le faire ? Ou bien nous faudra-t-il remuer la Presse de Bretagne, puis la Presse de Paris ? Devrons-nous rendre Argol célèbre d'une triste façon ? Et nous faudra-t-il constater que faute d'une autorité ferme et éclairée en Bretagne, d'une autorité bretonne, d'un gouverneur, tout ce qu'auront fait les pouvoirs publics aura été de laisser salir l'ensemble d'Argol de la même façon qu'ils ont laissé salir l'ensemble de Locmariaquer ?"

Paris est au courant par un étrange manège et c'est le ministre de l'Education nationale, Abel Bonnard (1883-1968) en charge des Beaux-arts, vichyste convaincu, pro-nazi assumé, ce qui lui vaudra une condamnation à mort par contumace, qui, par courrier du 16 novembre 1943, l'année la plus dure pour la Résistance et les privations, interroge le préfet du Finistère, Louis Dupiech (1900-1945), résistant, arrêté par la Gestapo, mort en mer pendant sa déportation, sur la nature des travaux envisagés qui pourraient heurter certaines sensibilités. Le ministre fait aussi appel au jugement du Service d'Inspection générale des Monuments historiques.

Le préfet, après enquête de ses services, rédige une lettre le 9 décembre 1943 qui dit en substance que la vue d'un rang de "soulagés" sur le mur d'enceinte du presbytère et du fameux enclos paroissial n'est guère pudique au regard de la gente féminine. Si les lois du 31 décembre 1913 et du 25 février 1943, créent autour des monuments historiques un champ de visibilité de 500 mètres à l'intérieur duquel aucune construction nouvelle ni modification ne peut être réalisée sans autorisation, le préfet annonce la plantation d'arbres qui à terme masqueront, l'édicule.

L'administration des Monuments historiques est quant à elle scandalisée par la construction de la pissotière et en demande sa destruction immédiate.

Le préfet est arrêté et donc démis de ses fonctions le 24 janvier 1944. Son successeur, Pierre Monzat (1886-1944), préfet du 24 janvier au 11 avril, reprend le dossier qui agite les consciences et fait causer la haute administration. Le nouveau préfet demande, par courrier, au sous-préfet de Châteaulin, l'état de la situation sur place sachant que le maire d'Argol de 1942 à 1944 : Yves Bideau (1911-1970) cultivateur, a promis de démissionner en cas de destruction de l'édicule.

Le sous-préfet, après s'être déplacé sur Argol, répond par courrier que le tableau n'est pas formidable mais qu'il est plus supportable qu'une dégoulinade d'urine sur la place de l'église et que les yeux sourcilleux sont moins heurtés. Il ajoute que question esthétisme, le site est déjà envahi par une bascule publique et surtout par des panneaux indicateurs de direction, dont un imposant Michelin cubique en béton proche de l'arc triomphal posant davantage de problèmes visuels. Il ajoute aussi que le tintamarre d'Argol viendrait de la friction entre l'ancien maire Michel Yves Bourvon maire de 1914 à 1942 (1865-1945), cultivateur qui serait contre l'urinoir et le nouveau qui en serait l'heureux promoteur. Entre temps, le préfet meurt et c'est le sous-préfet par intérim de Brest, Stéphane Leuret (en poste du 11 avril au 4 août 1944) qui reçoit le courrier.

Le dossier retourne à l'architecte des Monuments historiques pour avis. Fin de la guerre, tout est calme !

Rebondissement, l'illustre architecte Gaston Chabal, connu pour ses plans de villas de Morgat, et architecte des Monuments historiques, intime l'ordre de destruction des WC et urinoirs, par courrier le 24 décembre 1945... En pleine crise de la reconstruction de la France alors que tous les matériaux manquent et la faim est dans les estomacs. Le méritant spécialiste argumente que sa visite à Argol, à l'été 1945, en compagnie de son supérieur l'Architecte en Chef Raymond Cornon, fut un traumatisme et que la démolition de l'édicule illégal puisque non déclaré aux monuments historiques, doit être abattu dans les meilleurs délais.

Le conseil municipal d'Argol du 16 janvier 1946 refuse toute intervention. Les urinoirs y sont et y resteront.

Le sous-préfet en informe le préfet Aldéric Lecomte (1903-1949) le 18 janvier 1946 dans un courrier de diplomate et propose de supprimer les panneaux de circulation.

L'administration envoie l'architecte départemental Georges Auguste Yvinec (1909-1982) en charge de la reconstruction de Telgruc après le bombardement, pour une inspection. Celui-ci écrit son impression générale. Les urinoirs en béton pourraient être peints d'une couleur proche du mur du presbytère et de l'enclos paroissial. Il suggère d'attendre des temps meilleurs pour les travaux de suppression des urinoirs compte tenu du contexte national et du manque de fonds municipaux pour mener à bien les travaux.

Le sous-préfet de Châteaulin vient en visite des urinoirs le 6 octobre 1946, en présence de l'inspecteur général des Monuments historiques Huignard qui accorde un sursis à la déconstruction à la condition que les affichages publicitaires et autres sur le WC repeint façon camouflage, soit interdit et que les panneaux de circulation soient supprimés par les Ponts et Chaussées.

Le conseil municipal fait savoir à qui veut l'entendre que les affiches n'ont jamais été collées sur le mur classé mais accepte l'interdiction d'affichage le 26 octobre 1946.

L'ingénieur de l'arrondissement de l'Ouest réfute la suppression des poteaux indicateurs pour cause de commodité des automobilistes et propose un déplacement dont un accrochage sur le WC, ceci par courrier à Gaston Chabal, le 16 décembre 1946.

Les toilettes ont gagné en discrétion puisqu'elles existent dans l'ancien jardin du presbytère devenu bien communal...

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