Au travers de la vie de trois prêtres, voici l'état de
l'église en presqu'île de Crozon.
François Marie Lescop né le 12 09 1791 à Plouguerneau, ordonné prêtre
en 1814, devient vicaire à Recouvrance (Brest) avant d'être nommé à la
paroisse de Crozon en 1820 – l'Arabie
Pétrée tant redoutée. Il y mourut le 09 03 1824 de maladie. Bien que
sa cure fut brève en Crozon, elle fut tonitruante.
Les conditions de travail du recteur de Crozon étaient un sacerdoce. Pauvreté,
difficulté d'assurer le lendemain, déplacements incessants à pied pour
visiter les paroissiens éloignés du bourg, c'était donc bien des lieues
à parcourir chaque jour dans des chemins épouvantables. Le jeune curé
estimait que les cinq prêtres de la paroisse ne viendraient pas à bout
de la tâche, même aidés par des vicaires.
Si la Révolution française avait crucifié l'église avec une brutalité
sans nom, lors de la reconnaissance de la seconde Restauration (1815),
les prêtres brimés ont eu espoir que la royauté à nouveau au pouvoir restaurât
leurs privilèges pour mettre un terme à l'anticléricalisme des Libéraux
ou plus simplement à conjurer des agnostiques dont le nombre ne cessait
de croître librement.
Le curé Lescop fut de tous les combats. Il empêcha que l'on danse dans
les rues de Crozon en plein jour au son du biniou. Les danseurs étaient
les méchants et le sonneur de biniou un mécréant indigne. Lors d'une de
ses interventions contre les méchants de sa cure, il fit intervenir la
gendarmerie qui se trouva bien embarrassée d'arrêter le sonneur à 21 heures,
un soir de juin 1822. L'adjoint au maire Forcez intervint pour que le
trouble à l'ordre public et à la morale cessât sur le champ. Le sonneur
passa une nuit en prison sans comprendre de quel crime il était coupable.
Le sous-préfet Adam de Châteaulin manifesta son indignation auprès du
maire de Crozon quant à l'usage de la force par le biais d'un représentant
de l'Eglise.
L'évêque Monseigneur Pierre-Vincent Dombideau de Crouseilhes écrivit une
complainte saignante au ministre de l'Intérieur, le comte Jacques-Joseph
Guillaume François Pierre de Corbière, à propos des statuts synodaux dont
l'un des articles interdit "les danses les jours de dimanche et fêtes
et tous les autres jours après le coucher du soleil. Cette dernière disposition
a surtout contribué à conserver les bonnes mœurs dans les paroisses de
la campagne. L'éloignement des habitations, si les danses se prolongeaient
dans la nuit, entrainerait les plus grands désordres."
Après cette affaire, le curé Lescop changea de stratégie car une onde
hostile s'était formée dans la population, il partait désormais, croix
à la main, dissuader un par un les méchants en place publique, ce qui
divisa la population comme jamais.
Il faut reconnaître que dans toutes les communes de la presqu'île de Crozon,
les curés étaient "confrontés" aux filles-mères dont certaines venaient
demander le baptême pour leurs nouveaux-nés. Les prêtres les plus ardents
refusaient, ces jeunes-femmes étaient alors mises à l'index dans leur
commune. D'autres toléraient, en grinçant des dents, le baptême oui mais
tôt le matin, toujours avant 7 heures et parfois sous la condition qu'un
mariage avec le père fut célébré à des heures matinales prochainement.
Il y avait aussi les enfants adultérins venus des villes que des familles
bourgeoises confiaient à des nourrices pas toutes bonnes chrétiennes puisqu'elles
entretenaient le péché. La mortalité infantile était élevée, les familles
ne payaient pas durablement, les enfants étaient donné à qui voulait,
à des marchands de passage avec l'appui de certains curés.
Outre le fait que les paroisses de la presqu'île éloignaient tout espoir
d'une brillante carrière ecclésiastique, les mouvements anticléricaux
épars à cette époque, menaçaient l'influence religieuse des prêtres sur
les paroissiens qui étaient les seuls donateurs du denier du culte désormais.
Les prodigalités aristocratiques s'étaient résorbées pour beaucoup après
la révolution de 1789. Un seul espoir, la Contre-Révolution et l'écrasement
des Libéraux qui à Crozon, en 1822, menaient cabales (ou pas) contre un
maire royaliste accusé d'écritures frauduleuses. Il n'en fallait pas tant
pour que le curé Lescop repartît en campagne, cette fois politique. Il
voulait que le maire fut entouré de royalistes à sa pogne car selon son
propos, il y avait les royalistes de grande pureté, les utiles à l'église
et les royalistes douteux, les peu croyants. L'affaire du maire Peillet
se jugea d'abord à Châteaulin où il fut mis en prévention, puis lavé de
tout soupçon à Rennes après que le curé Lescop se plaignit à l'évêque
de Quimper qui sut se plaindre là où il fallait se plaindre. Le maire
revint à Crozon en triomphateur du libéralisme décadent. Le curé Lescop
bien que malade, jubila. Il avait un maire royaliste à disposition...
François-Marie Puissant né en février 1758 fut recteur constitutionnel
à Meslan entre 1791 et 1797 puis il fut recteur en Camaret avant d'être
nommé à Roscanvel ou le scandale vint avec lui. L'homme soupçonné de boire
fréquemment à la dive bouteille avait selon ses dires :"Si la commisération
et la sensibilité m'ont déterminé à donner asile à une dame de 40 ans
et à sa mère âgée de plus de 80 ans, c'est qu'elles jouissaient d'une
réputation intacte." Dans les faits, monsieur le curé était le concubin
de la "réfugiée des bons auspices", cela dura toute une vie et trente
ans au moins, on ne peut donc taxer ce prêtre d'infidélité... Les autorités
de l'église connaissaient parfaitement le péché de la chair de ce bélier
égaré. D'ailleurs le prêtre de Roscanvel disait haut et clair qu'il se
moquait de sa hiérarchie. Il fut indéboulonnable parce que personne ne
voulut aller prêcher les textes d'évangile en terre reculée comme pouvait
l'être Roscanvel sous domination militaire et les débords inhérents à
la militarisation.
Ce curé porté sur le plaisir des sens ne fut pas le seul. Dans de nombreuses
archives subsistent des lettres de curés dénonçant les vices des confrères.
L'alcool, les femmes, les deux en-même temps ou alternativement selon
les tempéraments. Et si au 19ème siècle la Bretagne avait trop de curés,
il n'y avait jamais eu de candidat à l'exil spirituel sur les terres subversives
et éloignées de la presqu'île de Crozon. Certaines communes restent sans
curé durant des années. Pauvreté, dénuement, charge de travail démentielle,
reconnaissance inexistante, face à une population certes croyante mais
avec davantage de dépendance à l'alcoolisme qu'à la fréquentation des
églises. Une population intriguée par la sorcellerie des sources miraculeuses
et la puissance du diable et dubitative sur les bienfaits d'un dieu qui
semble indifférent à la misère des siens. Certes les bigots n'avaient
aucun doute mais progressivement, les rangs des croyants se clairsemaient.
Par contre dans les frasques connues des hommes d'église, aucune référence
n'est faite à propos de la pédophilie. Peu probable que la presqu'île
ait échappé à ces dérives et ceci d'autant que les rapports incestueux
chez les paroissiens étaient connus et reconnus et qu'ils étaient cachés
par l'église qui imposait les silences familiaux pour ne pas admettre
qu'elle était dans l'incapacité de maîtriser les bas instincts des frustres.
Pourquoi tant d'inceste ? Le penty breton est une maison minuscule à une
seule pièce pour toute une famille souvent nombreuse, la promiscuité faisait
le pire.
Le curé Clérec semble faire la synthèse :
Jean-Marie Clérec, prêtre brestois issu de la bourgeoisie, fut nommé à
Camaret en 1808. A son arrivée, la population de 600 âmes fut enthousiaste,
cela faisait des années qu'il n'y avait pas eu de prêtre résidant. Le
jeune curé fut bienheureux de ce chaste transport. Deux ans plus tard,
il écrivit à l'évêque ceci : "Ce pauvre peuple ne correspond pas
du tout à la vraie tendresse que j'ai pour lui. Je n'entends que des nouvelles
vraiment désolantes, soit manque de vigilance de la part des parents,
soit irréligion ou pravité de la part de jeunes personnes. Voici en l'espace
de deux ans, dans une très petite paroisse, le huitième enfant illégitime
que je fais baptiser... Je crois pouvoir avancer à la honte de Camaret
qu'il n'y a jamais eu beaucoup de religion. Soldats, marins sont gens
qui n'en ont pas outre mesure. Je commence à me repentir d'avoir été assez
simple pour solliciter moi-même la place chagrinante que j'occupe...
La jeunesse est ici tellement effrontée qu'on vient jusqu'à chez moi,
jusqu'à ma table, me demander une salle pour danser. A-t-on jamais poussé
l'impudeur à ce point ?"
Le curé obtint sa "mutation" en 1816 à bout de nerfs ! Le prêtre
suivant arriva en 1821.
Pendant ce temps, on trouvait régulièrement le curé de Telgruc dans les
fossés des chemins creux à cuver son vin après avoir visité des veuves
éplorées. Il se disait malade et à bout de force. Il était hypocondriaque.
Le clergé breton représente 6% de la population en
1789 contre 8% en France dans les régions catholiques. La presqu'île connaît
18 prêtres (18 chapelles) employés au 18ème siècle (pour 224 villages),
plus les curés non assignés dont on ne sait que peu de chose. Les effectifs
décroissent à mesure que les chapelles tombent en ruines et que les pratiquants
sont moins nombreux. En 2020, la presqu'île de Crozon forme une seule
paroisse (Ste Marie) avec un seul curé.
Il est à noter que bien souvent les curés d'antan étaient dits familiaux
– spécificité bretonne à cause de langue bretonne variable selon
les contrées. Ces prêtres de campagne avaient leur propre famille dans
la paroisse. Bien des affaires sensibles furent nouées et tragiques à
cause de conflits d'intérêts mal maîtrisés par le clergé. Il fallait aussi
ajouter les emprises exercées sur les femmes plus réceptives à la religion.
La diabolisation des mœurs, les menaces permanentes à l'encontre
de la moindre expression féminine, la faveur des mariages consanguins
plutôt que d'approuver "l'aventure" avec un homme venu d'un
autre village par crainte de perdre de l'influence autoritaire... Les
curés familiaux avaient parfois des allures de gourou à l'égard d'une
population sans distraction, sans culture, illétrée, broyée par la peur
des épidémies, de la mort des marins en mer... La faim au ventre...
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